Emergence d'un Savoir Vivant


Une forme figée peut être reproduite,
mais la marée jamais, ne recrée la même vague.


Introduction

Ce chapitre a été écrit dans un processus de continuité entre le livre paru au CRDP d'Alsace en novembre 1999 :"Apprendre aux élèves, apprendre des élèves : quels espaces d'écoute ?" et l'atelier mensuel : "Vers une Ecoute Consciente au Quotidien", qui a débuté à l'automne 2000, et se tient actuellement au rythme d'une journée mensuelle (sauf en février et en août).
La pratique de l'écoute dans le monde enseignant nous avait appris que, dans le milieu scolaire, l'essentiel n'est pas d'écouter les élèves en dehors des heures de classe, même si cela peut souvent s'avérer utile et nécessaire. L'essentiel est d'écouter les élèves dans la classe, au coeur même de leur effort d'apprentissage. Le chapitre 5 : "L'écoute au coeur de l'apprentissage", fournit plusieurs exemples de cette pratique qui nous a amenés à découvrir la notion de savoir vivant. Ce savoir est abordé comme une création vivante et sans cesse renouvelée dans l'interaction entre les élèves, l'enseignant et la connaissance.
La connaissance est extérieure aux partenaires de l'apprentissage (élèves et enseignants). Elle est préétablie et formalisée dans les livres scolaires. En même temps, elle doit être à chaque instant recréée et intériorisée par l'enseignant, par les élèves, et dans la relation.Le savoir devient ainsi une oeuvre commune entre les apprenants et l'enseignant, mais intègre aussi ceux qui l'ont au préalable établi et ceux qui l'aborderont plus tard. C'est une "Oeuvre Commune" qui intègre la participation de tous les partenaires, présents ou non, et prend, de par sa nature même, une profonde signification humaine.
Dans la pratique de l' écoute consciente, nous redécouvrons ce processus de construction commune qui s'élabore lorsque les participants partagent les mots qui montent de leur expérience intérieure.

Les premières fondations ont été posées dans le contexte de l'enseignement, elles se développent et s'approfondissent actuellement dans le contexte d'enseignement que la démarche d'Ecoute Consciente laisse émerger.
Si nous partons de l'atelier, nous en découvrons les racines dans le livre "Espaces d'écoute", qui fut en lui-même une "oeuvre commune". Si nous partons du livre et suivons le fil de son plein développement, nous nous ouvrons à la recherche d'Ecoute Consciente.


La naissance d'un savoir vivant

Lorsque deux personnes authentiques, autant qu'elles peuvent l'être, sont engagées ensemble dans une relation d'écoute - c'est-à- dire que l'une se rend disponible pour l'accompagnement de l'autre, pendant un temps limité et déterminé à l'avance -, des éléments émergent qui apparaissent dépasser l'expérience de l'une et de l'autre, mais semblent appartenir à ce qui est commun aux deux et entre les deux. Ces éléments semblent même dépasser ce qui est strictement commun aux deux partenaires : ils appartiennent à un ensemble plus vaste.
Chacun des deux est alors conscient d'accéder, pendant ce court instant, à un savoir commun universel qui concerne l'humain dans sa globalité.

Il n'y a là rien de mystérieux. C'est une expérience toute simple et une donnée scientifique : les histoires, les situations, le contenu des champs de conscience et la coloration des émotions, sont toujours différents et absolument irréductibles l'un à l'autre.
Mais la nature des émotions est la même. Les valeurs humaines sont absolument communes. La peur est la peur quelles que soient sa cause et sa couleur.La joie est la joie etc...Nous reconnaissons quelque chose de connu dans les émotions, les sentiments, les expériences intérieures des autres.

L'humanité est humaine quelle que soit son expression individuelle et particulière.


Processus de groupe

Lorsque le groupe entre dans une démarche de recherche, le savoir se révèle à l'intersection entre les représentations, les valeurs, les idées exprimées par les membres du groupe. C'est au centre de ces intersections que le savoir commun universel émerge.
Chacun peut alors se laisser enseigner par ce savoir vivant qui devient une notion indépendante, extérieure à chaque individu, tout en étant profondément intérieure à chaque conscience. C'est comme s'il se révélait par le jeu des interactions, dans l'espace du groupe.
L'écoute de ce processus exige de chacun un travail de détachement et de désidentification : ce savoir n'appartient à personne. Par contre nous sommes libres d'entrer dans une relation d'observation, de curiosité, toujours prêts à nous laisser surprendre.
Nous empruntons alors un chemin de découverte et d'apprentissage. Nous retrouvons ensemble quelque chose qui nous dépasse tout en s'inscrivant dans notre intériorité, quelque chose qui préexiste , mais se révèle progressivement dans la construction commune.


Lorsque la connaissance n'est plus seulement un bloc figé à transmettre, mais devient une notion vivante construite avec les participants dans un processus de création toujours renouvelé,
elle se manifeste sous deux formes :

L'objet de l'enseignement, de la transmission ou de la recherche, devient un espace d'écoute : écoute des participants par l'intervenant, écoute les uns des autres, écoute du processus ou fil invisible qui se déroule dans le groupe, écoute tous ensemble, des éléments de savoir humain universel qui veulent bien se dévoiler.


La vie des mots

Puisque l'être humain est un être de paroles, la vie du savoir est saisie au travers des mots. Si nous entrons dans la vie du mot, nous remontons à son essence au-delà des particularités liées aux circonstances. En écoutant le mot, en laissant résonner ses différentes significations, en "jouant" avec ses différentes facettes, on peut se rendre compte à quel point la vie de tous les jours jaillit d'un mot et de l'écoute de son histoire.
Par exemple, le mot "couple" est employé en mathématiques (couple de valeurs), en chimie (couple d'oxydo-réduction, pour désigner deux éléments qui interagissent dans une relation d'oxydation), en mécanique (couple de deux forces) et dans les relations humaines.

En mécanique, il y a couple lorsqu'il existe deux forces d'égale valeur à une certaine distance d'un centre, et de sens opposé : alors, le système tourne.
Dans la relation humaine, quelles sont les forces en jeu ? Quelle est la distance entre les personnes ? Quel est le centre autour duquel tourne la relation entre deux personnes ? La réponse à ces questions, si elle est possible, sûrement nous révèlera quelque chose d'essentiel.


En entrant dans la vie des mots, nous apprenons la vie.
En nous laissant guider par le processus du groupe, nous apprenons la dimension de la Synthèse qui est une dimension d'universalité : aucun point de vue n'est entièrement juste, mais si nous les rassemblons tous (et cessons de les opposer), nous approchons de la vérité.
D'une certaine manière, du moins pouvons-nous en faire l'hypothèse, accéder à des parcelles de "savoir vivant", c'est reprendre le chemin de notre mémoire, c'est-à-dire retrouver ensemble le chemin du savoir universel.



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Mise à jour : Vendredi 24 Février 2012
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